Esther E. Wilson

Posons-nous deux minutes et méditons sur le sens concret de la vie. Y-a-t-il un sens concret d'ailleurs ?

Le passé...

Ce à quoi les gens s'attachent de trop, généralement. Enfin, c'est comme ça. Disons que du coup, le mien n'a que peu d'importance. Mais puisqu'on y est... Je n'ai jamais eu la vie dont j'avais rêvé. Dès mon plus jeune âge, j'ai été initiée à la musique, au piano plus précisément. En grandissant, il faut dire que j'étais plutôt douée, ainsi, j'ai développé l'envie de voir ma vie rythmée par les notes et les prestations à travers différents pays.
Ironie du sort, celle-ci n'a pas suivi le cours que j'espérais. Au lieu de quoi, une fois ma majorité atteinte, j'ai vécu dans l'ombre des autres.
Vivre ou survivre ? Je me pose toujours la question.
Toujours est-il que jusqu'à maintenant et depuis cette fameuse majorité, ma vie se résumait à accomplir envies et désirs, combler un manque certain d'autrui, dans tous les domaines confondus. Ai-je réellement été celle que j'aurais dû être durant cette période ? Là encore, je me pose la question. Disons qu'à part ça, le système était ainsi et que cela faisait partie de la normalité, obéir, suivre. Oh la normalité. Tellement subjective.

Quoi qu'on en dise, et malgré le maniement des rênes très strictes, ce système était fragile. Comme du fait, du jour au lendemain, tout a basculé et nous étions enfin amenés à nous enfuir. Nous, j'entends, la population. Une renaissance ? Peut-être pas. Car en effet, il n'a pas été facile de perdre tout, de se retrouver livrer à soi-même.

Marcher, marcher et encore marcher. J'ai pris la fuite avec l'argent que j'avais économisé toutes ces années, ce qui est bien utile. Sans destination précise, sans but précis non plus. Advienne que pourra entre-temps. Il est peut-être étonnant à l'heure actuelle que je sois toujours là. Une meute de loups, une bande mal intentionnée et l'histoire, celle de ma vie était réglée. Mais non... Le sort s'acharne ou peut-être ai-je simplement une bonne étoile derrière moi. Vaste connerie, elle n'est pas très douée alors.

Enfant, je n'ai jamais été très conciliante, pour un oui ou pour non, j'avais toujours de quoi grincher. Têtue à en perdre la raison, il n'était pas chose aisée de me convaincre à faire ce dont je n'avais pas envie. Forcément, ça ne s'est pas arrangé avec le temps. S'ajoutant à ça, ce qu'on pourrait appeler les aléas de la vie, je suis devenue une femme assez peu commode.
J'agis par impulsion, je méprise, je me fous considérablement des autres. Ma confiance est difficile à obtenir et je préfère de loin être froide plutôt que de m'ouvrir à n'importe qui. Disons que cela n'est jamais sans conséquence et que finalement, c'est peut-être un moyen de me préserver. Ma langue n'est pas rangée et je n'ai jamais pris de gants pour dire quoi que soit à autrui, jamais sans conséquences non plus, mais enfin. Je n'ai pas un mauvais fond, je le sais fort bien, il suffit juste de creuser un petit peu pour faire ressortir le meilleur, ce n'est pas compliqué. Et c'est là, sans doute à partir de ce moment-là que je deviens la femme douce, à qui je ressemble pourtant.

Marcher, marcher et toujours marcher. Mes pas m'ont mené jusqu'à une ville abandonnée, là où je suis restée quelques jours. Après quoi, ma présence au sein de la Cité des Ombres a été acceptée. J'aurais sans doute l'occasion de comprendre le pourquoi du comment plus tard. Toujours est-il que désormais, je suis tranquille. Une nouvelle vie m'attend avec son lot de nouvelles surprises également. Autant dire, je ne suis plus à ça près. Au contraire de quoi, j'aurais même tendance à être un peu curieuse. Mais ça, c'est encore autre chose.

Le présent, le futur s'écrira sous mes pas, sous mes doigts et il suffit juste d'attendre un petit peu afin de voir ce que la suite nous réserve.